scenographies

Chateaux of France

2001

Chateaux of France est une Installation-video-performance conçue par la chorégraphe et performeuse Jennifer Lacey et la scénographe et plasticienne Nadia Lauro

Châteaux of France est une extension des états de corps, inspirés des vidéos gay pornographiques et des mangas japonnais, explorés dans la pièce chorégraphique $Shot (Lacey/Lauro/Parkins/Cornell). Détachés de la chorégraphie initiale et de l’espace métaphorique et fantasmatique défini par l’environnement visuel d’origine, Châteaux of France déplace les corps présents dans $Shot dans différents lieux à caractère architectural ou paysager tels des châteaux, des jardins, des aéroports ou des terrains de sport. Châteaux of France compile les images filmées de cette juxtaposition corps / lieu(x) et les fait coexister dans une installation-vidéo qui se décline, selon les cas de figure, soit par la seule présentation d’images vidéo, soit par l’association de ces images à une performance live.

Châteaux of France est un projet qui oscille entre un rapport photographique et distancié à l’image et une fascination de l’ extrêmement lent, entre l’ennui et la complaisance du luxe.

Nadia Lauro – Chateaux of France - Chateaux of France 2001
Nadia Lauro – Chateaux of France - Chateaux of France 2001
Nadia Lauro – Chateaux of France - Chateaux of France 2001
Nadia Lauro – Chateaux of France - Chateaux of France 2001
Nadia Lauro – Chateaux of France - Chateaux of France 2001
Nadia Lauro – Chateaux of France - Chateaux of France 2001

Credits

conception  Jennifer Lacey & Nadia Lauro

chorégraphie  Jennifer Lacey

installation visuelle  Nadia Lauro

recherche et interprétation  Erin Cornell, Jennifer Lacey

création  Connivence, Biennale de Lyon, juin/septembre 2001.

collection du Fond National d’Art Contemporain, FNAC.


Genre mineur

Châteaux of France est une extension de $Shot. Cette collection de courtes vidéos diffusées en boucle et simultanément sur une dizaine de moniteurs, déplace certaines des séquences chorégraphiques de $Shot dans des espaces publics à caractères monumentaux, vidés de leurs passants habituels. Ce sont des lieux aussi divers que le salon ou la rampe d’escalier d’un château, un terrain de golf, une piscine, un rond-point au milieu d’une ville, les étages d’une bibliothèque ou les décors naturalistes de studios de cinéma japonais.
L’installation de Châteaux of France est constituée d’une quinzaine de moniteurs répartis dans une petite pièce sombre. Le sol est recouvert d’un épais tapis matelassé et zippé contenant des sacs de couchage en fourrure et offrant ainsi des conditions de regard au public qui font écho à celui des images. Pour Lacey et Lauro, il ne s’agit pas seulement de mettre les corps à l’épreuve de différents environnements, mais les environnements eux-mêmes sont ici testés par les corps. Chaque zone architecturale ou paysagère est utilisée ou révélée à travers le décalage qu’induit l’activité des danseuses dans ces lieux. La manière dont le cadre de l’image, le choix des lieux et la distance plus ou moins proche d’avec les corps font de l’image le vecteur d’une mise en scène spécifique à chaque lieu et à chaque séquence. Ce n’est donc pas d’une mise en situation de $Shot dont il est question mais bien de laisser aux champs nus de l’image le soin de matérialiser plastiquement l’absence de narration. Une plasticité qui contrairement à l’environnement abstrait et organique réalisé pour $Shot, offre ici une véritable composition concrète. Avec Châteaux of France, on peut comparer le travail visuel mené par Nadia Lauro à celui d’une géomètre des surfaces préférant se figer en plan séquence sur ces surfaces environnementales plutôt que créer un cadre visuel mettant en avant les mouvements à l’intérieur de l’image. Il n’y a donc pas de relief dans ces images, ni l’intention de plonger le public dans le récit, dans l’atmosphère juste, de le prendre, de le captiver, de l’aider à entrer dans l’époque, dans le lieu, face aux personnages. Il y a certes un attachement singulier à ces corps qui s’ébattent indéfiniment dans la répétition des mouvements. Mais parce qu’ils ne parviennent jamais à s’essouffler ni à se rattacher complètement à ces lieux en leur insufflant une fonction dramaturgique, on soupçonne peu à peu qu’à l’instar des objets et des environnements qu’elle compose, Nadia Lauro cherche dans l’image non pas une forme esthétique à investir, mais la déclinaison d’un genre mineur. Ce genre mineur propre à l’espace télévisuel, du type soap opera ou roman-photo – un genre populaire qui ne s’encombre pas du récit ou d’une mise en intrigue, mais qui vaut pour le plaisir de sa narration intrinsèque, indéfiniment extensible dans le temps, sans relation à une logique supérieure d’ordre narrative ou artistique. Ces images qui, si elles étaient replacées dans un genre cinématographique classique, apparaîtraient comme des rébus ou des espaces résiduels propres à faire le lien entre les scènes, constituent dans le cadre télévisuel de Châteaux of France l’objet central du regard, soulignant malgré elles une très forte présence des corps, faite de résonances quasi fantomatiques, inquiétantes par leur persistance au coeur de l’image et leur incapacité à s’imposer. Nadia Lauro et Jennifer Lacey se jouent des espaces réels en y imprimant via le cadre et les mouvements des corps, l’artificialité propre aux différents genres visuels populaires. Cette tension qui relie le réel à l’artefact, émergente via le regard de Nadia Lauro pour qui chaque lieu choisi fait office de scène et de décor. Aucun naturalisme n’est à l’oeuvre dans ces séquences, la réductibilité des espaces aux corps et au cadre faisant de ces lieux, pourtant monumentaux, des théâtres miniatures. L’image-objet, l’image-environnement, pointent la prégnance des productions visuelles bons marchés qui rythment et accompagnent désormais le regard au quotidien. A cette différence près que les images-corps de Lacey/Lauro, parce qu’elles n’offrent aucune emprise visuelle, s’insinuent dans nos corps et échappent à l’assimilation avec les signes dont abusent les médias. Plutôt que l’image porno ou érotique, l’image publicitaire ou celle des journaux télévisés, bref, l’image à valeur d’icône dans nos sociétés contemporaines, c’est l’image de ces lieux a priori insignifiants, de ces corps abandonnés lascivement hors des inscriptions temporelles, qui d’un seul coup déroule et dévoile les pulsations souterraines qui nous habitent quotidiennement face aux images – le bourdonnement vain et incessant, hypnotisant, qui parcourt par en dessous les représentations visuelles des icônes grand public. Ainsi confronté à ces multiples projections, le spectateur s’engage dans un véritable parcours physique à la fois prégnant et dérisoire. Une déambulation dont la finalité serait de saper le conditionnement du regard pour l’emmener à capter d’autres images, des images saisissantes parce qu’orphelines, abandonnées jusqu’alors, de tous les regards.

Alexandra Baudelot. Extrait.Jennifer Lacey & Nadia Lauro – Dispositifs chorégraphiques.
Ed. Les presses du réel 2007.
http://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=760&menu=2

Credits

conception  Jennifer Lacey & Nadia Lauro

chorégraphie  Jennifer Lacey

installation visuelle  Nadia Lauro

recherche et interprétation  Erin Cornell, Jennifer Lacey

création  Connivence, Biennale de Lyon, juin/septembre 2001.

collection du Fond National d’Art Contemporain, FNAC.