scenographies

La météorite

in
Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la beauté, 2006

“La météorite” est un dispositif scénographique imaginé par Nadia Lauro pour la pièce chorégraphique Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la beauté de Vera Mantero.

“La météorite” est un monolithe , une présence sculpturale, un objet colossal opérant une tension entre le vide de l’espace scénique et la parade immobile des performeurs à l’unisson.

Nadia Lauro – La météorite  - La météorite  2006
Nadia Lauro – La météorite  - La météorite  2006
Nadia Lauro – La météorite  - La météorite  2006
Nadia Lauro – La météorite  - La météorite  2006

Credits Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la beauté

direction artistique  Vera Mantero

conception de l’espace et des costumes  Nadia Lauro

musique live  Boris Hauf

lumières  Jean-Michel Le Lez

collaboration dramaturgique  Bojana Bauer

interprétation et co-création  Antonija Livingstone, Brynjar Bandlien, Loup Abramovici, Marcela Levi, Vera Mantero, Pascal Quéneau

 

Création : Le Quartz Brest, 2006.

Production : O Rumo do Fumo
Co-production : Centre Chorégraphique National de Tours , Centre Pompidou – Les Spectacles Vivants / Festival D’Automne , Culturgest de Lisbonne , Le Quartz/Scène Nationale de Brest, O Espaço do Tempo de Montemor-o-Novo
avec l’aide de Fundação Calouste Gulbenkian de Lisbonne

 


“Almost unisono, but with different accents and facial expressions, they hold a speech about profound and banal ideas alike, without any distinction. No wonder that even after one hour they don’t reach a conclusion. Because of that, the only aim of this piece seems to be to celebrate the bare fact that public and performers are together, contemplating each other. “We are a group, you are a group…” returns as a refrain in the mash of words. As such, the acting of the six performers, their eccentric dresses and the way the public reacts to all this “make” the piece…
…the speech itself does not take place in an indifferent space but on a stage. And a stage is different from a street or a square. It is an empty space, without preconceived meanings or uses, but that is exactly why it arouses great expectations. When the curtain goes up we expect that everything that is there to be seen has a Meaning with a large M. Nobody stumbles on a stage like as they would do on the street. Certainly not if the title of the piece announces such concerns as the Death of God or “the extreme exercise of Beauty”.
Now, this is of course a grotesque speech. Who has still anything significant to add after all that has already been said or written about this? Don’t we postulate the terms of God and Beauty above all to seal a breach in our worldview? Are these therefore not empty spaces, onto which everyone projects, after his own taste, his own “meaning of life”? The empty space of the stage meets in Vera Mantero’s work the empty space of words: she takes hold of the emptiness of the stage to hint at the emptiness of any significance. But she does this without despair. The meandering chat that the performers all produce in their own singular way, shows that a group of people “works”, even without God or Beauty. This is the meaning of the casual variant of “we are a group, you are a group…”. All of a sudden it becomes: “we are, you are… a theory, full of life”. Nothing has been proved, but “it works”.
Lauro’s mise-en-scène expresses this convincingly. A strong battery of spotlights frames the big stage, and in this way almost reduces the actors to a detail in the bigger picture. A huge brown object, a kind of a deformed globe, fills the emptiness behind them. The tension between the colossal object in the just as colossal emptiness and the mumbling of the performers is what creates meaning. Each by itself means nothing…”
Pieter T’Jonck

A light and recalcitrant work, Vera Mantero and five performers explore a single proposition that revolves almost completely around language, or better around speech, but also mumbling, grumbling, growling, meowing, humming, stammering and singing. Gestures and dance emerge where the body transforms into an ear or a peculiar soundboard. The piece embraces with theatrical joy an (im)probable future social body and doesn’t shun from the literal or kitsch. Language as a possibility to say ‘we’ and thereby affirm or ‘speak out’ the actual difference of the world we live in – on a political level the work reminds me of Jean-Luc Nancy’s writings. Since collaboration and creation are a social process itself, The extreme exercise has travelled a great distance between its première in Brest and the performances in Brussels: from a strict version that stresses the group as an outlandish choreographic machine, to a loose, ‘juicy’ one that takes as a point of departure the performer’s freedom in dialogue with the public, as yet another social body. Yet potentially it still commutes between these two extremes, voicing the lingering energies and imaginations of a vast spectrum.
Jeroen Peeters

On n’habite pas son langage
Avec Vera Mantero, six performeurs malaxent une distorsion corporelle de la langue. Induisant une dérive inédite – au demeurant souvent drôlatique – l’expérience hystérise les sens, affole le sens. Créée au Quartz de Brest, la pièce vient au Festival d’Automne.
Ces temps-ci, les matinales de France-Inter donnent à entendre, en boucle, la conversation suivante : un homme apprend – stupeur ! – de son interlocutrice qu’elle exerce sa profession en libérale. Cette dame continue de lui parler de ses soucis quotidiens de gestion. Elle s’exprime en français. Pourtant ses mots sont de plus en plus happés, avalés, entrechoqués, de sorte qu’on comprend de moins en moins ce qu’elle veut dire. Mais vite l’affaire s’éclaircit. La morale vient nous indiquer que si notre banquier machin ne comprend plus rien de nos explications dès lors qu’il apprend que nous exerçons en libéral, alors il nous faut en changer et nous adresser plutôt au banquier truc chouette avec sa solution libérale. Enfin bref, on en est là.
On retrouverait de cette pathétique texture dérisoire, et pourtant doucement hilarante, dans la nouvelle pièce de Vera Mantero, Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la beauté. Ce titre serait-il un peu compliqué ? Dans ces notes de travail rendues publiques, l’un des interprètes, Loup Abramovici, consigne la réflexion suivante : « Au début était le verbe, la destruction de dieu commence alors par la destruction du verbe ». Soit une entreprise relevant, en fait, de la plus haute intelligence. A ses côtés sur le plateau, Vera Mantero et quatre autres performeurs vont s’y consacrer.
Les y épaulent le sono-plasticien Boris Hauf et la scénographe costumière Nadia Lauro. Sans tapage, et souvent comme par surprise, le premier orchestre de singulières disputes de sens échappés, par baffles interposés. On lève la tête, hors la planéité scénique visuelle. La seconde a laissé tomber sur le plateau un énorme météorite, tout moche et boursouflé, masse inerte d’un diamètre supérieur à taille humaine. Cet objet oeuvre à la condensation plastique générale, au point qu’il peut se produire que le regard finisse par se convaincre qu’il est en train de bouger, alors qu’il n’en est rien !
Sur tout le restant du plateau, les six performeurs sont installés sur des chaises, qu’ils disposent en rangées, tout d’abord parfaitement frontales face aux spectateurs, mais dont ils déplacent ensuite les lignes, plus ou moins resserrées, partout dans l’espace. Il y a là en soi un ballet, alors qu’à l’inverse, chaque interprète semble quelque peu comprimé sur son siège de chaise. Il ne
peut guère que s’y incliner, tourner, se renverser quelque peu, dans des contorsions de la pause, tout élégantes ; mais contorsions quand même.
Ainsi, une plasticité générale des incongruités légères, une profondeur déréglée des vacuités flottantes, empreindraient l’ensemble de cette pièce. Sous les belles lumières, très exposantes, de Jean-Michel Le Lez, il n’est que voir les accoutrements imaginés par Nadia Lauro : torse nu, Brynjar Bandlien porte le kilt et aussi le gant de fer. Marcela Levi associe la paire de bottes de cow-boy et le chapeau de sorcière d’Halloween. Le bel et ténébreux Abromovici porte le smoking, mais chaussé de tongues. Etc. Toute cette texture est celle de la conjonction discordante, et de l’entrechoc des typicités décontextualisées.
On l’aura compris, à ce stade : on n’est pas ici en train de décrire scolairement décors, lumières et costumes. On est en train – au moins tente-t-on -, par ce bout-là pourquoi pas, d’amorcer une dynamique générale des inductions, des contaminations, où tout déteint sur tout, jusqu’à saisir de divagation généralisée le langage des mots et des corps. De ce langage, qu’habite-t-on, au fond,
de si parcellaire, toujours menacé de dérèglement, comme à l’image radiophonique – elle imbécile – de notre pauvre professionnelle exerçant en libéral dans un monde de brutes. On veut dire : de banquiers.
Un fantastique travail a été accompli pour élaborer collectivement le texte de cette pièce, et régler l’insolite musicalité de sa diction. Par le biais très savant de relances et de répétitions, produisant une complexité alvéolaire et tuilée, cette énonciation chorale – en langue anglaise sous-titrée – tisse une résonance malléable des circonvolutions de la langue. Dite de manière très distincte, parfaitement intelligible, elle est formidablement soutenue par une exagération des rhétoriques corporelles, tous index pointés au bout de gestuelles du soulignement ou de la suspension, piquées des regards de la nuance ou de l’accentuation. Cette frange d’outrance n’est pas celle de l’absurdité. Elle travaille plutôt une frise du non-sens suspecté, au creux d’une philosophe assumée de lieux communs réfléchis en haute stratégie.
Il faut toute une gourmandise stratégique, une dépense de temps dispendieuse – la pièce dure bien une heure et demi, par bonheur – pour produire, et redire, que « la vie n’est pas parfaite, et en plus, aussi, mais,… elle est courte ». Pour broder que « ça va tanguer cette nuit ; pluie, puits, puis, luit ». Ici, estimer, que « c’est un site touristique très intéressant » ; ben voyons. Si par absurde, il fallait tout saisir de cette arborescence proliférante en peu de mots, on retiendrait, entre deux hoquets corporels, menaces de fou rire, ou grincement pince sans rire, cette adresse

furtive : « As-tu entendu le silence de cet instant d’espace ». Conservons prudemment aussi, pour la soif, ce beau genre d’avertissement : « Souviens-toi, et ouvre les yeux ; choix. Ta vie… » On ne s’en lasse pas. Faut-il préciser que l’enlisement est permis, dans des bulles de tranquille cacophonie. 
La mimique expansée des corps, le décollement abrasif de la langue, l’épuisement du revenez-y du sens, distille une hystérisation sensuelle. Dans cette expérience tourmentée de l’agencement corporel du langage, il est grand temps de se rappeler de ce que fut l’un des solos fondateurs de Vera Mantero. Sur un poème de la scancion répétitive de mots en lames de couteau, dressée chancelante sur des talons aiguilles, nue mais toute teintée en négresse, évocatrice des ambiguïtés coloniales du personnage de Joséphine Baker, la performeuse proclamait la distorsion nécessaire d’un corps irrémédiablement désarticulé par les puissances du langage. C’était en 1996, et cela s’appelait « une mystérieuse Chose a dit e.e.cummings ».
Dix ans plus tard, cet acte est comme digéré, amplifié, hybridé, par la pièce, désormais amplement collective et cosmopolite, Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la beauté. Machine exquise à affoler le verbe, elle produit les ressacs d’une houle concertante, patiemment et précisément inscrite dans le tourment apparent des détours. Ce labyrinthe happe, culbute, emporte, abandonne et enivre un auditeur-spectateur soumis à épreuve heureusement consentie.

Gérard Mayen in Mouvement/online

 

L’extrême exercice du paradoxe
Là, on a de quoi rester sur le flanc : Vera Mantero et ses invités chorégraphiques jouent dans « Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la beauté » sur le fil de la limite. Ils interpellent les spectateurs sur un mode cynique en leur demandant s’ils se sentent bien, puis passent aux choses sérieuses. Tous les six assis sur des chaises qu’ils déplacent, mais toujours en enfilade, ils parlent, ils parlent, ils parlent… Parfois en chœur, parfois tous à la fois, ce qui reflète l’absurde de la condition humaine ou par moments, confronté à la solitude, on ne comprend plus rien. En effet, malgré le fait qu’ils se revendiquent comme un groupe, c’est bien de solos juxtaposés qu’il s’agit, chacun confronté à l’angoisse de la mort, dans un monde sans Dieu, symbolisé par une planète derrière eux, conçue comme les costumes délirants de burlesque par Nadia Lauro. Or, comment parler positivement de l’absence de Dieu dans un monde où, tel la chaise absente au milieu des interprètes, il est toujours présent, ne serait-ce que sur le mode de la négation ? En tout cas, une belle performance évoquant à l’envi le mythe de Sisyphe et son rocher, en laquelle Vera Mantero démontre qu’on peut vraiment danser…même en se remuant, mais avec les tripes, sur une chaise.
Bérengère Alfort in Danser

Credits Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la beauté

direction artistique  Vera Mantero

conception de l’espace et des costumes  Nadia Lauro

musique live  Boris Hauf

lumières  Jean-Michel Le Lez

collaboration dramaturgique  Bojana Bauer

interprétation et co-création  Antonija Livingstone, Brynjar Bandlien, Loup Abramovici, Marcela Levi, Vera Mantero, Pascal Quéneau

 

Création : Le Quartz Brest, 2006.

Production : O Rumo do Fumo
Co-production : Centre Chorégraphique National de Tours , Centre Pompidou – Les Spectacles Vivants / Festival D’Automne , Culturgest de Lisbonne , Le Quartz/Scène Nationale de Brest, O Espaço do Tempo de Montemor-o-Novo
avec l’aide de Fundação Calouste Gulbenkian de Lisbonne